Clé de voûte

Les Très Riches Heures du duc de Berry :
Le mois de janvier.
Les frères de Limbourg, XVe siècle
Peinture sur papier  21 x 29 cm
Musée Condé, Chantilly

Dix-huit soirées, repas et nuits partagés déjà depuis le sept janvier où quatre personnes de la rue ont été accueillies dans l'ancienne chapelle de la maison des jeunes de Saint-Vincent-de-Paul.

Les bénévoles envoient chaque matin par mail un petit compte-rendu aux autres participants :
une chaîne épistolaire, chapelet de messages comme des passages de relais, s'élabore jour après jour.

Entre les lignes de ces petits récits factuels se dessinent peu à peu les couleurs, les sons, les émotions, les silences parfois de ces rendez-vous quotidiens.

Bénévoles et accueillis ont rendez-vous chaque soir vers 20 heures. On ouvre les portes. Daniel et Pierrot arrivent souvent les premiers, suivis de Nasser et Christian.
On se coule doucement vers l'intérieur, du monde de la rue vers la tiédeur réconfortante des quatre murs de la chapelle. 

Nature morte aux deux clefs

Fernand Léger (1881-1955) 
97x146 cm 
Musée national Fernand Léger,  Biot

Dehors, le froid qui s'intensifie de jour en jour, le bruit, les gens pressés, un univers tissé d'apparences ; dedans, le calme, la chaleur, un rythme lent, apaisé.

Les premiers jours cependant, le passage est contrarié par des objets inanimés : les clefs nous jouent des tours. 
Des clés qui ouvrent et referment ce lieu où se renouvelle chaque soir, chaque matin une succession de gestes simples, comme dans une famille sans histoires.
Le troisième jour, la serrure de la porte résiste quelque peu. Elle sera révisée et démontée par Monsieur S. qui veille au bon fonctionnement des lieux. Le quatrième jour, les clés sont introuvables, heureusement, Madame S. nous dépanne avec son jeu. Le jour suivant la loge du gardien est fermée et nous ne pouvons accéder aux clés. C'est le curé qui viendra ouvrir la porte.

Le Christ remet les clés à saint Pierre
Nicolas Poussin 1636 - Détail

Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas

Après un répit de quelques jours, les clés auront à nouveau tendance à se bloquer dans la serrure et le 23 janvier elles sont restées dans la boîte aux lettres !

 La force symbolique de ces petits instruments qui ont pouvoir d'ouvrir ou fermer, lier ou délier,  pèserait-elle sur nos inconscients au point de nous échapper ainsi de temps à autre ?

Nos -bonnes- volontés additionnées ont ouvert ce temps de partage et d'accueil mais nous savons aussi qu'il faudra le refermer dans quelques semaines.

Pour l'heure, nous tentons de vivre l'instant, "l'être là" avec eux, clé de voûte de notre entreprise.

Tout a commencé un dimanche de mars

"C'est la vie c'est gratuit"
Photographie de Pascale Peyret

Tout a commencé, un dimanche de mars, par une émotion esthétique dans l'église Saint-Vincent-de-Paul, devant une exposition de photographies de Pascale Peyret : Paroles et pain de la rue, un bouleversant témoignage de moments de partage autour du repas avec les personnes de la rue.

 J'ai découvert un monde de bénévoles enthousiastes et discrets, dans l'accueil de l'autre, de celui qui n'a pas de toit, pas de place et qui est là cependant.

Des hommes et des femmes de l'équipe paroissiale ; des femmes et des hommes des "Compagnons de Saint-Vincent-de-Paul" agissent concrètement pour répondre aux besoins d’entraide et de solidarité dans le quartier.

Peu à peu, j'ai ressenti la nécessité de me mêler à eux, de tenter de suivre le même chemin.

J'ai rencontré une personne de la rue avec qui s'est noué imperceptiblement un lien fort autour de rencontres hebdomadaires.
Je rejoins l'équipe des bénévoles de l'hiver solidaire.

De tout cela et des autres initiatives solidaires à venir  dans notre quartier, il faut, par des mots, des images, des sons peut être, porter témoignage.
C'est ce qui tentera d'être fait ici.